Arithmancie sucks

Sale gitane. T'as oublié "sale gitane".
"Retourne dans ta caravane, sale gitane".

Arithmancie sucks. Arithmancie quand tu reçois douze boulettes froissées sur la tête, peut devenir un fôcking enfer. Ouais j'me suis levée, ouais j'ai pété un plomb, et ouais Septi-truc m'a ordonné d'aller voir dehors si j'y trouvais pas mon calme. Bloody school.

- -

— Queen ! Ils ont pris mon téléphone à cause de toi, j'peux pas appeler ma copine !
— Bah ça lui fait des vacances pour elle.
— T'es qu'une putain d'égoïste, vous pensez qu'à vos gueules les gitans !

Ouais j'me suis levée, ouais j'ai balancé ma purée de pois sur sa gueule de travers, et ouais on m'a virée de la Grande Salle pour laisser les autres déjeuner tranquillement. Rien à foutre en fait. Qu'ils aillent tous- ouais, c'était pas facile d'être calme après ça.

J'ai croisé Peter qui m'a suggéré la bibliothèque car il devait gérer ses classes de l'après-midi.
Les livres attirent moins les cons ? Bof.

- -

Dans le collimateur d'un Serpentard et d'un Serdaigle de sixième année, la journée est passée vite jusqu'au soir où j'ai même pas voulu m’asseoir pour manger. J'étouffe. J'étouffe de l'intérieur, bouffée par ma propre énergie. Leur persecution c'est que dalle à côté de l'impression d'imploser. Les insultes, j'ai l'habitude ; les graffitis sur nos caravanes, l'eau coupée, le regard des gens dans la rue, je connais. Mon majeur se lève, mon poing se lève, mais l'orage continue de gronder.

8:42 pm - le soleil tombe lentement sur le talus d'herbes qui mène à la forêt.

Pieds nus, bottines en main, j'inspire la tiédeur de fin mars en pensant au printemps, au pèlerinage en France, à l'Appleby Horse Fair et tous les évènements d'une année gitane. Rendez-les moi.

— Queen !

Oh putain. Ils m'ont suivie les enfoirés. Un grand brun en survêtement blanc et bleu à bandes et son pote presque roux, la tronche de l'Irlandais, sa tenue d'école toute froissée, la cravate verte en bordel. Cassez-vous ! BARREZ-VOUS ! Un troisième arrive, plus vieux (?), qui porte un sac à dos rempli d'objets bruyants. J'ai pas le temps d'enfiler mes chaussures que le brun me pousse en arrière avec un rire idiot. Bah reste debout la gitane !

— T'as perdu ta saucisse. Nan mais l'autre elle prend des saucisses pour les bouffer dehors ! T'aimes bien les saucisses, la gitane ?
— J'va péter vos dents GADJOS DE MERDE !

Un corbeau survole la scène alors que je me redresse en bordure de forêt, un tapis d'épines sèches sous mes talons. Bien sûr, ils se foutent de ma gueule, bien sûr, ils ont des baguettes et savent s'en servir, bien sûr, j'arrive même pas à leur porter un coup que je suis projetée contre le premier tronc d'arbre par une formule largement accessible aux adolescents. Tranquille, on veut juste faire une expérience.

— Il paraît qu'tu fais exploser les objets électriques Queen. Regarde c'que j'ai pour toi.
— Après on parlera de ma meuf aussi.
— Nous aussi on a des saucisses inhin.
— BOUFFEZ VOS MORTS, LÂCHEZ-MOI, LÂCHEEEZ MOOOI !!

Le casque audio balancé à mes pieds grésille en deux secondes, dessinant un arc électrique entre mes jambes alors qu'une sensation désagréable parcourt mon corps pris de tremblements, coincé par le sortilège. Wah. Laisse-la bouger pour voir. Sans attendre, je me jette sur le vert qui ramasse une grosse patate en plein dans le pif et vacille en arrière. J'VA VOUS TUER GROS BÂTARDS !

Ouais ça dure pas longtemps avant qu'ils ne m'envoient plus loin d'un coup de baguette, très amusés d'avoir quelqu'un qui réponde en face d'eux. P'tite conne ! T'as pas ta bande de cassos pour t'aider là hein ?! Tu vas faire quoi ? Il tient son nez ensanglanté en pointant sa baguette vers moi.

— Viens on essaye le téléphone.
— Silencio.

Une bombe muette.

L'objet me soulève l'estomac, jeté contre mon ventre par le plus grand des trois gars. Clouée au sol à cause de je-ne-sais-quelle magie de merde, je hurle en silence, et fixe l'écran qui se fissure tout seul.

Y'a un truc bizarre chez toi. C'est que t'es jamais le dernier pour t'en prendre aux autres, mais tu supportes pas qu'on fasse de même devant toi. C'est plus fort que toi, y'a comme un truc qui s'allume, qui hurle à l'injustice. Tu saurais même pas dire pourquoi. Pourquoi t'es capable à t'en prendre à quelqu'un de plus faible que toi, sans accepter que d'autres le fassent également. N'empêche qu'en entendant la voix de Queen qui gueule comme un putois dans le parc, et qui s'éteint presque aussitôt, tu peux pas t'empêcher d'aller voir. Et Posle non plus.

Enfin, tu te presses pas non plus des masses, contrairement à ton chien qui arrive sur place le premier, pour directement aller léchouiller Maisie sans se rendre compte de l'anormalité de la scène. Enfin, il finit par vouloir prendre le téléphone dans sa gueule, qu'il relâche presque aussitôt non loin à cause d'un coup de jus qu'il s'est pris dans la foulée, le faisant gémir de douleur et d'incompréhension.

- Qu'est-ce qu'il fout là, le clebs ?
- C'est celui de l'autre cassos de Jones.
- Ouais, mais qu'est-ce qu'il fout là ?
- Mais j'en sais rien m...

Il a pas le temps de finir sa phrase que sa baguette saute de sa main. Et celles de ses copains font de même, décrivant un drôle d'arc de cercle dans les airs. Posle, finalement remis de sa frayeur, bondit aussitôt vers les baguettes magiques. S'il y a bien une chose à laquelle il ne peut pas résister, c'est de courir après un bâton. Et tu te décales enfin de l'arbre auquel tu t'étais appuyé pour les désarmer, faisant rouler ta baguette entre tes doigts tranquillement.

- Casse-toi de là, Jones, c'est pas tes affaires.
- Putain mais son bâtard est en train de bouffer nos baguettes !

Et effectivement, Posle s'était mis à mâchouiller soigneusement les bouts de bois récupérés, visiblement ravi de ses trouvailles. Tu peux pas t'empêcher d'exploser de rire devant la gueule de ces bouffons.

- J'vous conseille de courir, les gars.
- Tu nous conseilles de courir ? Mais tu te prends pour qui ?
- On va t'faire ta fête, Jones !
- Dis à ton clébard de lâcher nos baguettes !

Tu hausses les épaules, baguette toujours en main.

- Il comprend rien, tu peux toujours essayer de les récupérer toi.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le gars se dirige vers Posle tandis que ses deux potes viennent vers toi, menaçants. Toi, tu te contentes d'agiter ta baguette en direction de Maisie, qui retrouve soudainement l'usage de la parole, et ses capacités de mouvements.

- Vous allez tellement morfler...

Et tandis que Queen se relève, Posle, lui, s'amuse à emmener plus loin les baguettes magiques, restant toujours à bonne distance de celui qui, il l'a bien compris, voulait lui voler ses nouveaux jouets. Et sans attendre davantage, tu ranges ta baguette magique dans ta poche, te fendant d'un sourire un peu mauvais alors que le premier arrive sur toi avec son air tout énervé. T'as aucun mal à esquiver son premier coup. Il est lent. Il ne sait pas se battre. Et tu profites de son élan pour choper son bras, tirer dessus de toutes tes forces, et lui claquer une balayette dans la foulée pour le coller par terre.

Tu désignes l'autre d'un geste du menton.

- J'te laisse c'lui-là, Queen ? T'l'as d'jà entamé, j'aime pas les restes moi.

Et tandis que l'autre essai de se relever, tu lui balances ta doc dans la gueule. Même pas de toutes tes forces, tu risquerais de trop l'abîmer.

↓ Aide sur les PNJ :

- - -

La nausée devient un grésillement d'énergie qui se propage dans tout mon corps. J'ai mal. J'ai peur d'exploser. Le téléphone crépite, plein d'étincelles, d'arceaux électriques attirés par cette magie incontrôlable, enfermée trop longtemps, trop loin. Mes dents grincent. J'oublie les trois garçons en sentant ma respiration s'emballer, prisonnière de moi-même. J'veux pas crever là, sale, soumise à ces gadjos de merde, seule.

Puis Posle arrive et rouvre mes yeux fermés de douleur. Sa vision m'arrache un hurlement intérieur, une supplication si forte que les larmes inondent mon regard débordant de khôl. "Barre-toi !", "Va chercher Arsène, Ren, Luke, n'importe qui, mais barre-toi !" Il prend le téléphone et s'éloigne en couinant, vite distrait par autre chose ailleurs. Il me faut quelques secondes pour comprendre quand j'entends la conversation entre les types. Jones ?

Arsène. Arsène est là et j'vais pas crever sale, soumise à ces gadjos de merde, seule.

Un souffle traverse mes lèvres alors qu'il coupe les sortilèges m'empêchant de bouger, ou de crier. Fôck, ouais. L'adrénaline me redresse rapidement, les jambes tremblantes mais prêtes à survivre, à ignorer la douleur ou l'engourdissement pour me défendre. Voir Arsène se battre m'encourage à faire pareil sans attendre et j'essuie mes larmes d'un revers de bras avant de courir sur le Serpentard, loin d'avoir peur. Les bastons, je connais.

— T'vas faire quoi la gitane ? RECULE ! Il parle mais n'en mène pas large et lève ses poings maladroitement, du sang qui coule sous son nez. T'vas voir, j'vais faire quoi. J'le pousse en arrière avec la force de ma colère. TA GUEULE ! Il tombe près du sac où commencent à grésiller une montre connectée et une petite enceinte Bluetooth restées là. Mon pied frappe son ventre sauf qu'il l'attrape et m'entraîne contre lui. LÂCHE-MOI GADJO DE MERDE ! LÂCHE-MOI ! Je me débats, des poings qui pleuvent sur sa gueule d'Irlandais. Forcé de croiser ses bras en protection devant son visage, il me libère mais réussi à placer un coup droit dans ma bouche qui saigne aussitôt. Le sac PUTAIN !

Ça crépite, ça chauffe, et une fumée se dégage à travers les fermetures en plastique du sac que je saisis avec rage pour le coller contre sa tronche en hurlant. Quoi t'as peur ?! T'AS PEUR ?! Mes bras tremblent, affaiblis par l'énergie qui m'électrise. Je fronce du nez et maintiens la pression alors qu'il essaye de s'échapper. Ça va péter QUEEN PUTAIN !

Une explosion (moyenne) nous surprend tous les deux, assez forte pour m'éloigner de lui, et lui de s'enfuir comme un lapin qui détale dans les champs. Assise au sol, le souffle coupé, je cherche Arsène du regard.

Les types semblent comprendre à l'explosion que leur idée géniale de ramener des appareils électriques à côté de Maisie n'était finalement qu'une immense connerie. Et même si l'explosion t'a également surpris, ton inattention ne dure pas suffisamment longtemps pour permettre à celui que tu maintiens au sol de s'échapper. Tu viens d'ailleurs appuyer ton genou dans son dos, juste pour s'assurer qu'il ne suive pas ses deux potes qui ont détalé sans demander leur reste lors de la détonation. Posle a d'ailleurs commencé par faire de même, avant de vous rejoindre, les baguettes toutes mâchonnées et pleines de bave dans sa gueule, l'air très fier de lui.

- Lâche-moi Jones, tu vas le regretter.
- Ta gueule.

T'es on ne peut plus calme en assénant l'ordre, mais ça ne suffit clairement pas à ce qu'il la ferme. Alors tu sors ta baguette pour le rendre tout aussi silencieux que ce qu'ils avaient fait à Maisie auparavant, avant de jeter un coup d'oeil à la gitane.

- T'sais qu'faire des moulinets avec les bras c'pas s'battre, hein Queen ?

N'empêche que ça te tire un sourire en coin. La meuf a plus de couilles que la majorité des élèves de l'école. Et tandis que l'autre sous toi continue de se débattre, tu le chopes par les cheveux pour lui coller la gueule dans l'herbe, avant de bien lui enfoncer histoire de t'assurer qu'il bouffe un peu de terre dans la foulée.

- P'tain mais tiens-toi tranquille, j'te jure j'vais vraiment t'faire mal sinon.

Pris d'un éclair de génie soudain, Posle lâche les baguettes pour s'approcher de la tête du mec qu'il renifle quelques secondes avant de lever la patte pour y balancer un jet de pisse malodorant qui te fait exploser de rire.

- Bon chien.

Il récolte même quelques caresses qui le font remuer la queue tandis que l'autre commence à ruer pour essayer de te déloger de son dos.

- N'empêche j'savais pas qu'tu f'sais péter des trucs comme ça. 'Fin j'ai entendu des trucs mais j'croyais pas. J'crois t'vas d'voir apprendre à t'battre pour de vrai Queen. Pis à t'servir d'ta baguette.

Bordel, y'a des fois, tu parles vraiment comme l'autre connard de Lyovitch.

- T'as qu'à essayer d'lui lancer un sort à lui. Il va pas bouger. Pas vrai qu'tu vas pas bouger Ducon ?

Une toux douloureuse m'échappe comme devant la borne à photos partie en fumée. Les mêmes sensations reviennent que dimanche ; de confusion, d'agitation intérieure, de grands fourmillements. Sauf qu'il manque Peter. J'avale ma salive en fixant Arsène et l'autre septième année, l'esprit encore embrouillé, du sang à la bouche, l'air de m'être roulée directement sur le sol de la forêt. Lui paraît tranquille. Nos regards se croisent et son sourire réveille mon majeur tendu en l'air.

— Fôck you Jones ! J'esquisse un faible sourire quand même, soulagée du silence qui nous envahit et calme mes tremblements. D'habitude Arsène parle pas. D'ailleurs il m'ignore presque toujours, tolérant juste ma présence sans un mot. Ce soir, j'entends son accent américain enchaîner plus de mots que jamais depuis mon arrivée à l'école le mois dernier.

Puis Arsène fôcking Jones explose de rire et j'ai du mal à le reconnaître. Amusée aussi par la scène, je ris en caressant Posle qui vient me voir joyeusement et me lèche les doigts, sûrement à la recherche de nourriture. Mes mains grésillent encore dans les poils longs du chien, un tourbillon électrique au ventre alors que je m'adresse à lui avant d'écouter Arsène. J'ai rien. Ils m'ont tout fait tomber là-bas. Mon attention retourne au garçon.

— J'sais se battre hein ! La fierté gitane me couvre le visage.

Défiée par Arsène, je ne sais pas dire non et me redresse avec l'audace d'essayer d'utiliser mes pouvoirs, même s'ils me bouffent de l'intérieur depuis des semaines. Ok. J'va le faire. Ma mine se renfrogne en voyant les baguettes pleines de bave au sol. J'en ramasse une, l'essuie contre ma jupe froissée et pointe l'élève à terre. "Réciter la formule, donner l'intonation, respecter le geste et le rythme" ; tu vois Peter que j'écoute quand tu parles.

Mes lèvres tremblent, le corps clairement pas en état de jeter un sortilège.

Pieds nus dans les épines de pin séchées sans broncher, la détermination peut se lire à mon bras tendu fermement, à la voix forte que j'expire après une courte réflexion.

— Stupéfi-AH ! une décharge arrache la baguette d'entre mes phalanges blanchies et Posle court pour l'attraper et jouer avec. Bloody hell ! Certes, Peter aurait arrêté le massacre avant même qu'il ne commence. L'autre s'agite sous Arsène. Attends, je fais encore. Ça peut durer longtemps tu sais.

Deuxième baguette, deuxième tentative, la respiration plus courte et le coeur qui bat à mille dans ma poitrine épuisée. J'hésite pourtant pas et me concentre un minimum (c'est impossible) à rassembler mes forces. Stupéfix ! Mon visage se tord de douleur. STUPÉFIX PUTAIN STUPÉFIX ! La baguette frémit et me donne une autre décharge. Saisie par la rage, je l'envoie au loin pour le plus grand bonheur du chien qui se lance derrière elle en aboyant. C'est trop.

— FAIS CHIER PUTAIN ! VOUS FAITES TOUS CHIER ! Je crache à la gueule du type étalé au sol, un peu de salive et de sang et prends le poignet d'Arsène pour essayer de le forcer à pointer sa baguette contre lui. Montre. Montre encore !

Tu regardes Queen essayer de lancer un pauvre Stupefix sans y parvenir. Les résultats obtenus sont même carrément pathétiques. Tu esquisses une grimace, sans pour autant dire quoi que ce soit. Sérieux, la meuf est la sorcière la plus cheloue qui soit. N'importe qui peut lancer un sort sans se faire mal, et elle non, c'est quoi son problème ? Au final, elle a juste l'air complètement tarée, mais c'est pas comme si t'en avais vraiment quelque chose à foutre. Tu voulais juste qu'elle se venge, et c'est visiblement pas près d'arriver. Tu dégages ton poignet de sa main dès qu'elle s'en saisit, pour lui adresser un regard noir dans la foulée.

- M'touche pas.

Tu veux bien être sympa, mais t'as des limites. Et celle-ci en fait clairement partie. Tu finis par te relever, laissant ta victime croire que tu vas finalement la relâcher alors même que son visage n'est plus qu'un amas de terre et d'herbe bien accrochées à son visage grâce à la pisse de Posle et au crachat de Maisie. Franchement, il en mène pas large le mec. Tu ressens même une légère peur dans son regard alors qu'il se met debout en vous regardant tour à tour, avant de commencer à reculer.

Toi, tu laisses pas grand chose paraître. Tu le regardes juste, l'air complètement blasé. Il peut toujours pas parler, et alors qu'il commence à vouloir courir pour rejoindre ses potes, tu l'immobilises directement, histoire d'avoir le temps pour quelques explications.

- Pour qu'ça marche faut l'prononcer bien et faire l'bon geste. Pis voir l'effet qu'on veut qu'ça donne. R'garde.

Tu dessines alors un genre de nuage avec ta baguette. Et tu prononces la première formule humiliante qui te vient à l'esprit.

- Pecus Udis..

Tu te serais bien lancé dans quelque chose de plus impressionnant, de plus sanglant, mais tu sais aussi que si tu te fais choper à lancer ce genre de sortilèges tu risques de vraiment finir en taule. Alors tu préfères assurer tes arrières. Tu relâches alors le type de son immobilité et de son mutisme, histoire de profiter pleinement de ses bêlements, tandis qu'il se met à quatre pattes pour brouter la pelouse.

- A toi. Mais ça sert à rien d'gueuler hein c'pas sourd une baguette.

La violence d'Arsène m'indiffère.
Trop confuse et trop faible pour réagir, je fixe son profil sévère alors qu'il se redresse, peut-être dix ou quinze centimètres au-dessus de mon visage marqué par les évènements. Le soleil disparaît et plonge la forêt dans une pénombre éclairée d'insectes luisants. L'ambiance change quand Arsène fige l'autre gars et commence sa leçon.

J'essuie mon visage, le sang autour de mes lèvres, les cheveux collés à ma peau sale, sans succès. Des flashs noirs font cligner mes yeux alors qu'il m'explique la même chose que Peter ou d'autres profs en classe ; de bien prononcer, de bien faire le geste, vi-su-a-li-ser. Je l'ai par coeur, vous savez. J'ai les formules, j'ai les intonations, j'ai les dessins, j'ai tout, j'ai aussi la magie. J'ai tout sauf que le mélange donne rien.

Mon corps vacille, un pas de côté pour retrouver l'équilibre au milieu des feuilles craquantes. J'observe toujours attentivement l'Américain et sa façon d'armer la baguette face à l'élève terrifié. Ma vengeance n'a plus tellement d'importance à ce stade, l'épuisement au premier plan, des fourmis électriques qui font trembler mes muscles par intermittence.

Ils vont me détruire Papa.

Arsène exécute le sortilège avec facilité et fait croire au type de septième année qu'il est un mouton. Wah. Surprise du résultat, déconcertée par le choix de formule du brun, je souffle un rire bête. Owh ! On dirait que j'ai trop bu. Après l'engourdissement, c'est le froid qui m'envahit doucement de frissons des pieds à la tête. Je les ignore, obstinée et persuadée que ce soir pourrait être celui où j'arrive enfin à canaliser l'énergie magique dans mon corps.

"C'est pas sourd une baguette." Genre t'as jamais frappé ton téléphone car il buguait ? La télécommande aux piles usées ? Le moteur qui démarre une fois sur deux ?

Mais j'acquiesce et ramasse la dernière baguette des trois garçons en réfrénant un vertige alors que Posle s'approche, peut-être inquiet pour mon état, peut-être motivé par la bouffe que j'apporte d'habitude avec moi. Mon bras se tend, moins fermement qu'auparavant. L'autre bêle et continue de manger l'herbe. "Ça sert à rien de gueuler." Okay'. L'énergie de gueuler m'a quittée de toute manière.

J'imagine l'élève s'effondrer au sol, paralysé, et dessine un bâton dans sa direction, comme appris sur mes fiches de sortilèges, en prononçant la formule d'une voix correcte, l'accent où il faut. Stupéfix. Mon sternum brûle immédiatement alors que des étincelles se forment au bout du bâton qui projette un enchantement diffus, presque inexistant. Le voir m'écarquille les yeux, juste avant qu'ils ne se ferment, trop lourds. Pour la deuxième fois, je m'accroche à l'Américain, prends son coude par réflexe en sentant une ombre avaler mon esprit entier. Arsèn'-

Blackout.

Tu la regardes faire avec une légère grimace dépitée. Tu comprends pas ce qui cloche chez elle. Tous les sorciers peuvent faire de la magie, pourquoi elle non ? C'est quand même bizarre que ça ait l'air de lui faire mal alors même qu'il y a pas le moindre sort qui s'échappe de la baguette. Au fond, tu t'en tapes, t'aurais juste aimé qu'elle puisse se défendre elle-même, histoire de pas avoir à le faire toi. Alors autant dire que quand elle tombe au sol complètement inconsciente, ça te tire juste un haussement de sourcil dépité.

- Et merde.

Comment tu vas expliquer ça si tu l'amènes à l'infirmerie, sérieux. On va croire que c'est de ta faute et tout te foutre sur le dos, c'est évident. Surtout que tout le monde sait qu'elle passe carrément trop de temps avec Butler, et c'est bien la dernière personne que t'as envie de voir débarquer pour te faire la morale : tu risquerais de lui faire bouffer la pelouse à lui aussi. Alors tu t'approches de Maisie pour t'accroupir à côté d'elle.

- Queen ? Hé, Queen ?

Aucune réponse, évidemment. Pas même un léger mouvement, rien du tout. Derrière toi, le type semble se rappeler qu'il bouffe pas d'herbe à la base et qu'il peut marcher sur deux jambes. Courir, même, et c'est ce qu'il fait. Tu t'en rends pas vraiment compte, tu regardes juste le visage de cette fille évanouie, avec une drôle d'impression.

- P'tain Queen, réveille-toi !

T'élèves un peu la voix, mais rien n'y fait. Alors tu te décides à la secouer un peu par l'épaule, avant de lui tapoter la joue, pour finir par lui coller une vraie baffe. Histoire de la réveiller. Evidemment.

- QUEEN !

T'as pas l'intention d'y passer la nuit. Sauf qu'elle, sa nuit, elle est visiblement en train de la faire en entier. Tu te laisses tomber sur tes fesses, pour simplement continuer à lui donner quelques tapes sur la joue en disant son nom, l'air pas plus concerné que ça.

"Quand le disjoncteur saute, on doit régler le problème avant de le réarmer." Analogie électrique offerte par Peter, ne me remerciez pas. J'avais remis l'énergie trop tôt, j'avais refait sauter le disjoncteur - désolée Peter. Inerte, ma tête roule de droite et de gauche au rythme des baffes d'Arsène, envoyant des impulsions à l'intérieur de mes entrailles. Ça vit en dedans, ça gronde, ça bouillonne, ça brûle, ça tente de retrouver le chemin vers mon cerveau. Perdue sous une couche sombre de brouillard, je reste étendue plusieurs longues minutes jusqu'à ressentir qu'on malmène mes pommettes écarlates.

— Mrrh, Kaven, get out. Y'a juste un gosse pour venir vous réveiller à coups de tartes dans la gueule, nan ? Mon nez se retrousse, ronchon. J'aurais dû fermer la caravane à clé (personne ne fait ça chez les Queen). Le bras plein de fourmis, le corps douloureux et la lèvre ouverte, l'image du clan disparaît et me ramène à l'école en quelques secondes à peine. Ohw fôck. Posle lèche mes doigts alors que j'ouvre les yeux sur une pénombre dissimulant presque Arsène, assis à mes côtés. Les insectes grésillent autour de nous, toujours intrigués par la présence d'intrus dans leur forêt. Une odeur de brûlé flotte au-dessus du sol terreux, me rappelant les appareils ramenés par les trois cons. J'inspire et m'assoie à mon tour en fixant le brun, puis les alentours, avec l'impression d'être en lendemain de cuite. Shit.

En voulant descendre un peu ma jupe remontée trop haut sur mes cuisses, je remarque que ma main droite tremble, incapable du moindre mouvement, encore sous le choc de l'énergie destructrice qui veut m'anéantir. Whôt the- Peter câblerait de me voir dans cet état. Ma famille pigerait rien, mais lui il saurait. Mes dents claquent, de froid et d'asthénie. Le chien s'éloigne pour renifler par-ci par-là. Je pose un regard curieux sur l'Américain en me souvenant qu'il s'est battu contre les trois types pour me défendre. Les joues toujours rouges, mes paroles sont sincères.

— Ta', d'avoir géré les gadjos. Pourquoi d'ailleurs ? Alors que la plupart des autres élèves font juste semblant d'être aveugles quand je reçois une boulette de papier sur la tête ou qu'on m'insulte dans les couloirs.

Ma paume essuie encore un peu de sang sur mon visage, puis la terre couvrant mes genoux nus tandis que Posle revient avec l'une de mes chaussures dans sa gueule qu'il dépose près de moi en remuant joyeusement sa queue. Oh merci. Toi aussi t'as géré, bon toutou. Il redresse son museau sous ma caresse et repart, probablement à la recherche de la deuxième bottine. Je défais la grande chaussette roulée en boule à l'intérieur et commence à l'enfiler au bout de mon pied. J'peux rester avec toi cette nuit Arsène ?

J'veux pas rentrer. J'veux pas être toute seule non plus.

Elle finit quand même par se réveiller. Pas trop tôt, t'as bien cru que t'allais devoir la ramener à l'infirmerie, et t'as carrément la flemme d'expliquer à qui que ce soit ce qu'il vient de se passer. Parce que ça te retomberait forcément sur le coin de la gueule, et t'es carrément trop claqué pour ces conneries. T'arrêtes donc de lui filer des baffes, pour plutôt te rouler une clope. C'est bien tout ce que tu peux t'envoyer dernièrement, avec Lyovitch qui te colle un emploi du temps de ministre juste pour éviter que tu fasses de la merde.

Tu jettes quand même un regard en coin à Maisie, qu'a pas l'air bien en forme. Elle est carrément blanche, et tu serais pas plus surpris que ça de la voir s'évanouir de nouveau. Mais tu dis rien, te contentes d'allumer ta clope en répondant à ses remerciements par un simple haussement d'épaules. Fallait bien que quelqu'un les gère, elle aurait été capable de faire péter tout le château sinon. T'es juste dégoûté que ces débiles soient pas foutus de se battre pour de bon. T'aurais bien aimé un vrai combat.

Pendant ce temps-là, Posle décide de servir à quelque chose en ramenant les pompes à Maisie. De toute façon, ce clebs ramasse tout ce qui traîne. Et vu son petit gémissement, il aurait carrément préféré qu'elle balance sa chaussure plutôt que de la renfiler. Tu jettes un drôle de regard à l'adolescente en entendant sa question.

- Quoi, t'as peur du noir, Queen ?

L'air pas très avenant, un peu fouteur de gueule. Tu souffles la fumée de ta clope en un trait fin avant de répondre plus sérieusement.

- J'peux plus dormir dehors. Lyovitch m'lâche pas deux s'condes. J'squatte son bureau la nuit. Pas sûr qu'il soit chaud pour qu'tu débarques.

Et d'un côté, t'aimerais bien qu'il te foute la paix. Retrouver un semblant de liberté. Mais tu sais aussi que, si c'était le cas, tu redeviendrais probablement le même zombie que t'étais. Au moins, il t'évite de trop réfléchir. Et de trop te piquer. C'est pas si difficile, de juste faire ce qu'il te demande. C'est même la solution la plus simple que t'ait trouvé. Même si, bordel, qu'est-ce qu'il te tape sur les nerfs.

— Nan je- quoi en fait ? J'ai pas peur du noir, alors quoi ? Mes doigts tremblent autour des lacets que je tire pour les nouer avant d'enfiler la deuxième bottine rapportée entre temps par Posle qui continue ses allers-retours vers le talus d'herbes. L'heure du couvre-feu approche et plus personne n'aura l'idée d'aller en forêt maintenant. J'ai pas dit ça. Ramollie après la tempête d'énergies qui se sont dévorées dans mon corps, j'ai du mal à réfléchir.

L'odeur du tabac balaye celle d'humidité brûlée. Peut-être qu'il aurait dû rester silencieux, Arsène ; ça le rendait moins désagréable. J'observe son profil sans savoir ce qui me pousse à insister. C'est plutôt toi t'as peur de Lyovitch en fait. Pourquoi qu'il te lâche pas ? Mes incisives coincent ma lèvre inférieure que j'aspire pour nettoyer le sang puis l'essuyer d'un revers de bras. Le frère d'Ivan séquestre des élèves la nuit ? Est-ce qu'Arsène est un élève déjà ? Pourquoi il dormirait dans le bureau d'un professeur ? Plusieurs questions traversent mon cerveau, mais trop la flemme d'élaborer une phrase là.

Péniblement, je retrouve l'équilibre de mes jambes encore choquées par l'électricité et marche en direction de la besace jetée plus loin pour rassembler mes affaires sans vraiment prêter attention à tout retrouver. J'allais venir voir si t'étais à la clairière au début. D'où les morceaux de viande à potage dans mon sac, que Posle a finalement pisté car il les dévore joyeusement à quelques mètres d'ici.

Étrange, non, que mon esprit pense à chercher l'Américain pour fuir une journée bien merdique ? C'est que paradoxalement, il représente mes instants les plus calmes et les plus en dehors du temps ici, à l'école. Sans connaître encore le secret des chevaux invisibles de la clairière, j'imaginais juste observer Arsène les nourrir en silence, et moi donner des caresses au chien.

Devant le sorcier, j'enfile un pull en laine sombre qui se trouvait parmi le bordel de mon sac, et cale la bandoulière à mon épaule en grimaçant à cause des crampes tordant mes muscles avant de fouiller dans poche principale pour sortir un petit cône roulé de papier, et un briquet. Medicine, justifient mollement mes lèvres avec un sourire en direction d'Arsène alors que j'y coince le joint puis l'allume. La première bouffée me fait tousser, la gorge irritée par les fumées noires des appareils électriques. Loin de moi l'envie de retourner au dortoir après tout ça. J'ai besoin d'un autre air. Les recommandations de Peter peuvent aller se faire foutre cette nuit. Un hématome se propage dans mon dos projeté contre le tronc d'arbre tout à l'heure. J'ai mal, mais sans me plaindre, j'avance vers la clairière.

— Tu viens ou tu rentres chez Lyovitch ?